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BIENVENUE

dans l'angle
Alpha

C’est notre histoire à tous : celle de notre rapport passionnel au travail. L’histoire de ces pulsions qui nous capturent et nous fixent dans le travail, dans le salariat, dans l’entreprise, et dans le néolibéralisme - alors que, peut-être : la vraie vie est ailleurs ?

 

Pendant ce temps le capitalisme carbure… Il carbure à la crainte (de manquer), au désir (de consommer), et à ces nouvelles passions : « se réaliser », « s’investir », et finalement épouser le désir maître - celui du patronat. Ainsi le capitalisme a colonisé nos âmes, capturant la quasi-totalité de nos désirs.

 

Mais il reste encore, en chacun, un désir propre, faisant écart aux commandements du désir maître ; cet écart, cette résistance possible, nous l’appellerons : l’angle Alpha. Et nous y danserons.

 

Il s’agit de l’adaptation pour le théâtre d’un essai de Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, paru à La Fabrique en 2010.

 

« Adaptation », cela veut dire que j’ai bien sûr entièrement réécrit l’essai de Frédéric Lordon pour en faire un matériau théâtral ; un matériau à la fois plus compact (le spectacle dure juste une heure), et plus aéré, puisque les énoncés philosophiques alternent avec des moments dialogués, des situations incarnées où les acteurs interrogent les situations de travail que le texte théorise : situations dramatiques ou comiques, souvent burlesques – la tragi-comédie de notre rapport aliéné au travail autorise tous les registres, du plus grave au plus léger… Et la philosophie n’interdit pas les blagues ; souvent, même, elle les cultive.

 

Cette forme ludique, organisée autour de notre fameuse échelle rouge qui sert de métaphore à tout jouer, permet de traduire efficacement l’essentiel des concepts philosophiques propres à saisir notre rapport au travail : le «conatus» (concept emprunté à Spinoza pour évoquer ce qui nous mobilise), et «l’angle Alpha» – concept élaboré par Frédéric Lordon pour théoriser l’écart possible, la résistance que chacun peut opposer à l’enrôlement par le désir maître néo-libéral. Porter ce texte à la scène est pour moi une manière d’offrir en partage ces concepts, afin que chacun, pris dans l’expérience passionnelle de ce qui le mobilise au travail, puisse s’emparer de sa puissance émancipatrice.

 Judith Bernard

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Sellotapes colorées

Revue de presse

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"Les nouveaux chemins de la connaissance", présenté par Adèle Van Reeth : invités : Frédéric Lordon et Judith Bernard, autour du spectacle et du texte Capitalisme, désir et servitude.

Réécouter ici.

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« Social Club », présenté par Frédéric Taddeï : Judith Bernard invitée pour évoquer le spectacle. 
Réécouter ici.

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« Chroniques Rebelles », présenté par Christiane Passevant, émission du samedi 1er février 2014. Judith Bernard invitée pour évoquer le spectacle. 
 

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Spinoza, le libéralisme et l’escabeau, par Eric Aeschimann.

Au théâtre de Ménilmontant, Judith Bernard fait jouer par six acteurs un livre de l’économiste Frédéric Lordon. Autour d’un escabeau, leurs corps se débattent entre les impératifs du rendement et leurs puissances d’agir. Une réussite.

Le théâtre de Ménilmontant est bourré à craquer, la salle est réceptive, avide et à l’issue du spectacle, elle applaudit longuement – bien davantage que dans certaines salles autrement plus prestigieuses. Joué depuis la mi-janvier, «Bienvenue dans l’angle alpha», libre adaptation du travail de l’économiste et philosophe Frédéric Lordon, se taille un beau succès. Et apporte la preuve que, quand l’économie dévoile sa véritable

nature d’asservissement des corps, le théâtre, en tant que libre jeu des corps, est le lieu idéal pour en mettre à nu les rouages.

Un escabeau double trône au milieu de la scène. On y grimpe, on s’y agglutine, on s’y perche. On se glisse dessous, on le transporte, on le ferme, on l’ouvre: sobre et saisissante métaphore du monde du travail. Autour de ce point focal, six acteurs s’activent. L’un tient le discours du patron (mais pas toujours); les autres travaillent, discutent, théorisent, contestent, proclament, dansent. Et parfois, ils chuchotent un mot étrange: «conatus».

             "Mon conatus est tendu comme un chibre"

Le « conatus » - que l’on peut appeler aussi «puissance d’être», «appétit» ou même «désir» - est le concept central de la pensée de Spinoza. Dans l’un de ses livres, l’économiste Frédéric Lordon en a fait l’instrument permettant d’expliciter le fonctionnement psychique du néolibéralisme.

«Le conatus est un principe de mobilisation des corps, scande un personnage. C’est l’énergie du désir, qui jette le corps à la poursuite de son objet.» Le conatus est le carburant du capitalisme, société de pulsions et de projections. «Quand un entrepreneur forme le projet d’une entreprise, c’est son conatus qui le meut. Mais lui a besoin pour assouvir son désir d’asservir d’autres conatus.»

Le manager harangue ses salariés : «Mon conatus est beau, il est fort il est libre. Il est gonflé de sève et tendu comme un chibre.» Il motive ses troupes, les entraîne dans son désir. Il «manage» et l’escabeau est comme un point d’exclamation à la fin d’un commandement, comme un clou enfoncé à coups d’ordres répétés. Il faut rester à sa place pour exécuter sa tâche, mais comment obtempérer?

Au deux-tiers du spectacle, en quelques gestes, le déploiement des corps orchestré par la metteuse en scène Judith Bernard dessine un centre d’appel. «Céline Martin à votre écoute, comment puis-je vous être utile? Oui? Avez-vous pensé à allumer votre ordinateur?... Oui, parfait, recommencez...» Le «call center» exige une discipline de fer. Il faut tenir le rythme, mais aussi tenir ses troupes.

« Plus sincère, le sourire, dans la voix dans la voix, ordonne le manager. Faut pas faire semblant on ne veut pas des machines, on veut des personnes, des personnes tout entières, impliquez-vous putain, avec le sourire dans la voix, dans la tête, dans le coeur, DANS LE COEUR BORDEL!» Il est sec comme une trique, droit comme un escabeau - tous les patrons se raidissent lorsqu’ils vous donnent un ordre absurde.

                  "Assez de vos jérémiades anticapitalistes"

La théorie est un défi pour le théâtre : elle menace d’alourdir les dialogues, de vider la scène de toute vie. Mais elle peut aussi décupler la puissance de l’acteur et enflammer la salle. Pour cela, il faut que des corps s’en emparent et la fassent vivre. C’est ce que réussit Judith Bernard. Les phrases conceptuelles rebondissent entre les personnages, les personnages circulent sur la scène, la scène se remplit de mots vibrants qui finissent par former un paysage sensible. Le «conatus» déploie alors sa force électrique, exhibe ses utilisations contradictoires. Il ne s’agit pas ici de se lamenter sur l’absorption de la vie humaine par l’impératif du rendement économique («assez de vos jérémiades anticapitalistes», lâche un personnage), mais de montrer qu’il y a, au cœur même de cet impératif, une énergie formidable, que l’on pourrait utiliser autrement.

« Tu danses ? », demande vers la fin un personnage. Depuis le début, la danseuse dessinait en contrepoint des figures abstraites; maintenant, elle s’approche alors de l’escabeau, qui change de signification et devient un totem inspirant. C’est l’inversion du désir-maître: parce que ses sujets décident le regarder autrement, la pulsion qui asservit sa transforme en puissance libératrice. Et cette métamorphose-là est profondément théâtrale.

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Si vous n’avez pas déjà vu Bienvenue dans l’angle alpha, ne manquez pas les prochaines représentations, en juin, à la Manufacture des Abbesses. Cette pièce, mise en scène par Judith Bernard et sa troupe Ada-Théâtre, est une adaptation du livre de Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza (La Fabrique, 2010). La complicité entre eux est grande, puisque c’est elle aussi qui avait mis en scène d’Un retournement l’autre, une comédie en alexandrins.

Cette pièce jubilatoire fouaille et met à nu les ressorts de l’univers du travail. Les deux pivots en sont : une double échelle, rouge, objet magique symbolisant la pyramide hiérarchique, l’échelle sociale, la volonté d’ascension vers le sommet, la croissance, bref, le monde capitaliste dans toute sa splendeur, et le « conatus », concept-clé de la pensée de Spinoza. Frédéric Lordon a fait de ce conatus – qu’on peut traduire par « puissance de faire », appétit, voire désir, un levier de l’acceptation du capitalisme néolibéral par les êtres humains. L’aspiration qui met en branle le système et le maintient en fonctionnement. Autrement dit, le pourquoi de la fameuse « servitude volontaire » qui permet aux dominants et aux tyrans en tous genres de perdurer.

Extraits explicites : « Le conatus est un principe de mobilisation des corps... C’est l’énergie du désir, qui jette le corps à la poursuite de son objet... Quand un entrepreneur forme le projet d’une entreprise, c’est son conatus qui le meut. Mais lui a besoin pour assouvir son désir d’asservir d’autres conatus. » Ou encore d’un manager pour motiver ses « managés » dans un centre d’appel. « Mon conatus est beau, il est fort, il est libre. Il est gonflé de sève et tendu comme un chibre... Plus sincère le sourire, dans la voix, dans la voix, ordonne le manager. Faut pas faire semblant on ne veut pas des machines, on veut des personnes, des personnes tout entières, impliquez-vous putain, avec le sourire dans la voix, dans la tête, dans le cœur, dans le cœur, bordel ! »

Le « conatus » vous dis-je !,

Par Christine Tréguier

Judith Bernard n’a ni modifié ni tronqué le texte bavard et extrêmement dense de Lordon. Elle l’a rendu fluide et digeste en y faisant entrer les corps des cinq comédiens et d’une danseuse. Ils virevoltent, miment, s’affrontent, exprimant, scénette après scénette, les conatus des uns et des autres quelle que soit leur classe sociale. L’échelle rouge est leur instrument et leur surface de jeu, leur point de croisement et d’enchevêtrement. Elle se plie, se déplie, fait office de support de drap de projection, se couche pour mieux se redresser, restituant, dans toutes ses positions, les rapports de domination d’une catégorie ou d’un individu sur les autres.

Habilement, Judith Bernard interroge également le mode de travail et les objectifs de l’artiste. Lui aussi a le conatus actif, avide de séduire et entrant dans le jeu de la domination pour atteindre des objectifs parfois plus mercantilo-individualistes que créatifs. Mais l’art est également le moyen de renverser cette organisation pour tendre vers autre chose. Car le conatus peut aussi aspirer à la liberté et être son moteur. Cette réflexion, inscrite en creux tout au long de la pièce, clôt le spectacle et on regrette que ce soit « déjà » fini. Le public, explique la metteuse en scène- comédienne, est attentif et ne semble pas s’ennuyer. Y compris les collégiens et lycéens venus nombreux. Ces jeunes, pourtant nourris à Twitter et aux messages courts, ont avalé 1 h 15 de Spinoza et de Lordon avec gourmandise.

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Pourquoi rougirait-on de cogiter ?

Par Laura Plas

Une partition ludique plutôt qu’un traité, un texte moins théologique que politique, tel est « Bienvenue dans l’angle alpha ». De quoi se faire plaisir, et penser : peut-être pas « capital », mais joyeusement libertin et libertaire, à coup sûr !

« Qui veut voir un spectacle évoquant Marx et Spinoza, qui veut assister à l’adaptation de Capitalisme, désir et servitude ?, de l’économiste et penseur Frédéric Lordon. « Y a foot ce soir ? » « Les enfants sont malades... » Voyons, je repose la question : qui veut voir un spectacle qui traite de désirs, exalte la passion, pétille d’intelligence et vous parle de vous? Remisez vos mauvaises excuses, votre peur des spectacles pour « intellos », vous n’y perdrez pas.

D’abord, l’Ada-Théâtre ne propose pas un exposé pontifiant, pas même une de ces pseudo-conférences qui font fureur depuis quelques années. Une mise en scène chorégraphiée, un travail sur la langue qui tient de la musique, des dialogues, des coups de gueule ne laissent pas de répit : voici quelques ingrédients de ce spectacle au sens plein du terme. La mise en scène, quant à elle, fourmille de trouvailles. Une échelle rouge, seul élément de scénographie, offre mille possibles. Grâce aux jeux de lumière, à une bande-son pleine d’humour, cet escabeau désigne l’échelle sociale, la pyramide, le gibet, l’entreprise, le tapis d’un aéroport. Et l’on en passe. Ainsi, le plateau ne cesse de se métamorphoser. En outre, la compagnie travaille autant la danse que le théâtre d’ombres, qui offre de beaux moments à la Terry Gilliam.

Bien sûr, on y trouve quelques gros mots théoriques, mais aussi une bonne dose d’autodérision. Les néologismes délicieux font de toute façon sourire et nous ouvrent

les pistes de l’impensé, ils nous forgent des interrogations. Et puis, de toute façon, pourquoi rougirait-on de cogiter ? Ici, l’on pense peut-être encore davantage que si la réflexion passait par une fable. Car nous ne sommes pas embrigadés dans une histoire, emportés par des sentiments ou une identification. Cartes sur table, à nous de juger.

Une vraie troupe

Ajoutons que sur scène, la pensée prend corps (au pluriel !). Cinq comédiens l’incarnent en effet, comme les protagonistes du dialogue platonicien pouvaient le faire. Ils se complètent, se contredisent, dansent. Ils sont tous convaincants et forment une vraie troupe où l’on ne sent pas de désir dominant (même pas celui du metteur en scène) s’imposer. Chacun tour à tour peut jouer le défenseur du néolibéralisme, ou son pourfendeur : pas de porte-parole. Pas de paquet à emporter sur ce que l’on doit penser, mais une exhortation à se libérer du désir unique qui nous aliène à l’entreprise, au système néolibéral. Plus on est de penseurs, plus la domination s’affaiblit, telle est l’idée défendue.

Alors prenez le risque de découvrir ce que sont leconatus, lacapturation et l’angle alpha, vous ne le regretterez pas.

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« Bienvenue dans l’angle alpha », le capitalisme mis en pièce(s). PHILIPPE DESFILHES

Réfléchir au salariat et à l’organisation du travail dans nos sociétés, le tout sur les planches: c’est le défi auquel a répondu Judith Bernard de manière séduisante, en portant sur la scène un essai de Frédéric Lordon. Reporterre y a assisté et raconte.

Vous n’aimez pas votre travail ? Allez voir Bienvenue dans l’angle alpha, vous comprendrez pourquoi. Vous aimez votre travail ? Allez voir Bienvenue dans l’angle alpha, il sera toujours temps de vous poser la question de savoir pourquoi vous aimez tant votre travail ...

Metteur en scène et comédienne, Judith Bernard s’est saisie avec ses camarades de la Compagnie ADA de Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, essai dans lequel Frédéric Lordon repense en économiste et en philosophe notre rapport au travail. « J’ai voulu incarner avec des acteurs, un décor et de la musique un texte assez difficile et théorique, mais qui m’a vite prise aux tripes et m’a permis de mettre des mots sur des expériences que je n’avais jamais réussi à nommer », explique-t- elle.

C’est réussi : Judith Bernard transforme l’essai de Frédéric Lordon en une pièce de théâtre intelligente et pertinente. C’est aussi et surtout un moment vivant, drôle et parfois poétique. Son spectacle donne au spectateur, presque malgré lui tant les premiers dialogues sont ardus, un sentiment de jubilation croissant. La mise en scène est sobre et astucieuse. Avec un rétroprojecteur et une échelle, elle crée un monde où les acteurs, deux femmes et trois hommes, tous de noirs vêtus, portent un texte complexe et exigeant, allégé par des dialogues plein d’humour et de références à l’actualité.

Dans la nouvelle version présentée aux Abbesses, la danseuse a disparu.

« Mais la danse reste avec des moments de chorégraphie entre les acteurs qui sont des moments de respiration. Et la configuration du plateau de la Manufacture des Abbesses, moins grand que celui du théâtre de Ménilmontant où la pièce avait été montée originellement, a conduit à repenser la mise en scène dans une forme resserrée sur le jeu des acteurs », poursuit Judith Bernard.

Il n’y a pas à proprement parler d’histoire. La teneur philosophique du texte de Frédéric Lordon est restituée par le jeu entre les acteurs qui fait rebondir la parole de l’un à l’autre de façon à désamorcer une dimension qui se voudrait trop intellectuelle. Il s’agit de redonner à chacun la capacité de discuter la finalité du travail mais aussi les modalités de son organisation.

Les questions sont concrètes. De qui réduit-on le salaire quand l’entreprise va mal ? Comment ? De combien ? Comment partage-t-on le travail ? Qui autorise-t-on à la décision ? Comment se fait-il que nous soyons enfermés dans ce rapport hiérarchique qui est l’essence même du rapport salarial dans lequel certains commandent, le petit nombre, pendant que les autres, le plus grand nombre, obéissent ?

Bienvenue dans l’angle alpha traite de la possibilité d’une reprise en main du destin collectif des communautés de travail, comme disent les économistes, donc d’une possible autogestion de la production des biens et des services. Toutefois, l’écologie est absente des débats ; cette charge cinglante et réussie contre son principal ennemi, le néo-libéralisme, fait regretter que Frédéric Lordon n’ait pas encore exercé son esprit aiguisé à l’analyse des ravages du capitalisme sur la planète.

Quant au fameux angle « alpha » qui donne son titre à la pièce, il n’a rien de fumeux. C’est un concept qui représente selon l’économiste, qui l’explique doctement, notre degré de résistance à l’ordre établi. Le mérite de Judith Bernard est de nous le faire comprendre avec astuce et de nous le donner à voir par la magie du théâtre.

Après son succès en début d’année, Bienvenue dans l’angle alpha revient dans une nouvelle version à La Manufacture des Abbesses du 17 au 28 juin 2014.

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Par Christiane Passevant

Bienvenue dans l’angle Alpha, ou pour le dire autrement: ne m’invitez pas dans une révolution où on ne peut ni danser ni rire des pièges tendus par la société capitaliste. Des pièges de plus en plus élaborés avec les techniques patronales de « management », comme on dit aujourd’hui pour parler de gestion des salarié-es. L’angle Alpha, c’est la réponse aux manipulations et à la domination, c’est tourner le dos à la « servitude volontaire » C’est la résistance par l’ironie du geste, de la parole, des symboles... Et ça marche merveilleusement !

Deux fois prolongé, le spectacle de Judith Bernard fait un tabac et la

salle ne désemplit pas. Le théâtre était bondé lorsque je suis allée à la rencontre — c’est un peu ça quand le public n’est plus caution, mais partie prenante de la réussite — de Bienvenue dans l’angle Alpha. Dans la salle, une classe entière au moins de lycéen-nes qui participaient à leur manière aux propos de philo active... Et là, on se dit que si la philo passe aussi bien, que si la critique du système fait autant recette et que tout le monde sort ravie — toutes générations confondues —, y’a des chances que la Com, la pub, Mickey et autres pièges médiatisés ne soient pas complètement et définitivement le seul horizon d’une jeunesse lobotomisée et la nourriture artificielle des autres. Et vlan dans la gueule aurait dit Coluche !

Judith Bernard dit que l’on doit aussi rire de la gravité des sujets abordés et que ce n’est pas en étant sinistre que les idées passent le mieux. Il y a le rythme, il y a la forme, il y a la danse qui accompagne le propos... Et je me prends à rêver de cours pratiques sur Marx et Spinoza par cette metteuse en scène-comédienne et adaptatrice qui parle comme elle bouge !

Pourtant c’était une drôle de gageure d’adapter au théâtre un texte mêlant philosophie et économie, engagé dans une critique sociale acerbe. Et la réussite est complète, les gens rient des évidences vécues au quotidien dans le monde du travail et de la consommation. Ben oui, vous n’êtes pas raisonnables et vous acceptez des choses inacceptables. Alors là, pas de déni ! Un peu plus d’une heure de spectacle et de prise de conscience... L’expression « balayer devant sa porte » acquiert ici une dimension visuelle, sonore, pragmatique. Il ne s’agit pas de critiquer l’autre et de s’extraire du champ examiné, non : on est dedans ! La conscience s’aiguise et l’auto critique se fait joyeusement.

Alors à bas la hiérarchie et Bienvenue dans l’angle Alpha ! On y danse, on y pense, et on s’y amuse... J’espère que ça va tourner longtemps et partout, je suis pour le partage de petits bonheurs, pas vous ?

Pensées Plastiques

Par Emilie Laystary

« BIENVENUE DANS L’ANGLE ALPHA » : Judith Bernard adapte F.Lordon (ou « un spectacle qui invite à comprendre comment le libéralisme, dans son incroyable dextérité à imposer sa domination, nous a appris à croire que nous soumettre aux désirs du patronat est ce que nous souhaitons vraiment pour vivre heureux »)

Hier soir, j’ai eu le bonheur d’aller voir avec mes amis Emmanuel et Juliette l’adaptation sur les planches de l’essai de Frédéric Lordon « Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza » (sorti en 2010 aux éditions La Fabrique). Un véritable chef d’œuvre, joué en ce moment et jusqu’au 26 février au théâtre de Ménilmontant : jubilatoire, salvateur et incroyablement pertinent – sur le fond comme sur la forme.

Jubilatoire, d’abord, parce que la pièce dont les dialogues se basent sur l’analyse que Lordon fait de la servitude salariale, livre une matière textuelle brute : la thèse de Lordon y est déclamée comme elle a été écrite. Or, là où l’épaisseur de la réflexion pourrait être ardue à

suivre à l’oral, elle devient ici complètement enivrante puisque transformée par la mise en scène de Judith Bernard en une réflexion progressivement déployée. La jubilation (je ne trouve décidément pas d’autre mot) de comprendre comment un concept théorique peut en appeler un autre devient alors extatique. Sur les planches, face à lui, le spectateur se surprend à éprouver le vif sentiment de « voir se dérouler une pensée en mouvement ». Les idées se bousculent et s’entrechoquent jusqu’à dépeindre un tableau plus général encore : celui de la capacité des dominants à créer en nous la joyeuse envie de nous subordonner à eux. Salvateur, aussi, parce que « Bienvenue dans l’angle Alpha » est une pièce très engageante pour le public : si les dialogues se succèdent bien évidemment dans la matérialité de la scène, le théâtre, lui, ne prend véritablement forme que dans la tête des spectateurs, comme invités à réfléchir en même temps que les comédiens déclament

Le décor, qui se fait l’économie de fioritures risquant de divertir l’attention du public, brille par une sobriété adéquate à l’expérience. Une danseuse, des textes ping-pong, un escabeau rouge et quelques jeux de lumières suffisent à offrir les éléments visuels essentiels au rebondissement des idées. Et d’un coup, tout fait sens : c’est l’instinct de survie économique qui a généré chez l’homme l’envie irrépressible de consommer, laquelle a supposé le consentement au salariat, lequel a justifié l’enrôlement dans une structure sociale, créant ainsi l’asservissement émotionnel du travailleur heureux de rendre heureux son patron, dans un tout que l’on nommera joyeuse aliénation.

Pertinent, enfin, parce que la pièce semble avoir été pensée comme un moment de partage, une rencontre militante avec le public, une communion politique des esprits – nos esprits, à tous, et en chacun de nous, capables de dissidence. Ni seulement analytique, ni totalement manifeste, « Bienvenue dans l’angle Alpha » est une invitation didactique et savoureuse à remettre en question le sens que nous pensons / prétendons mettre dans la valeur travail. On ressort de la salle avec l’envie, un peu plus grande, un peu plus forte, de faire place dans nos existences à des instants de bonheur qui ne nous auront été dictés par personne... et encore moins par l’asservissement consenti à un système économique.

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Radio

Bienvenue dans l’angle Alpha, ou pour le dire autrement: ne m’invitez pas dans une révolution où on ne peut ni danser ni rire des pièges tendus par la société capitaliste. Des pièges de plus en plus élaborés avec les techniques patronales de « management », comme on dit aujourd’hui pour parler de gestion des salarié-es. L’angle Alpha, c’est la réponse aux manipulations et à la domination, c’est tourner le dos à la « servitude volontaire » C’est la résistance par l’ironie du geste, de la parole, des symboles... Et ça marche merveilleusement !

Deux fois prolongé, le spectacle de Judith Bernard fait un tabac et la

salle ne désemplit pas. Le théâtre était bondé lorsque je suis allée à la rencontre — c’est un peu ça quand le public n’est plus caution, mais partie prenante de la réussite — de Bienvenue dans l’angle Alpha. Dans la salle, une classe entière au moins de lycéen-nes qui participaient à leur manière aux propos de philo active... Et là, on se dit que si la philo passe aussi bien, que si la critique du système fait autant recette et que tout le monde sort ravie — toutes générations confondues —, y’a des chances que la Com, la pub, Mickey et autres pièges médiatisés ne soient pas complètement et définitivement le seul horizon d’une jeunesse lobotomisée et la nourriture artificielle des autres. Et vlan dans la gueule aurait dit Coluche !

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